A quels signes reconnaître que ma question est vraie, que peut-être Dieu me demande quelque chose et qu'il s'occupe un peu plus de moi...Que je dois chercher à m'orienter...
Quand Dieu appelle
Souvent des jeunes me demandent : Comment êtes-vous devenu prêtre ? Jamais je ne parviens à répondre. Ce qui métonne beaucoup. Un cardinal qui ne sait pas comment il est devenu prêtre... Nempêche, cest la vérité. Je nai jamais été moi-même à la racine de ma vocation et je ne me suis jamais dit : Voilà ce que je veux faire. Ce qui aurait été le cas si javais voulu devenir médecin. Limpression que jai, cest que cela ma habité à limproviste, venant de je ne sais où, sans que ce soit toujours de mon goût. Quand jétais petit, cela me tracassait et je ne pouvais men défaire. Une vocation fond sur vous, elle sinstalle plus ou moins consciemment. Elle vous guette, se présente à limproviste et, parfois, elle vous fait souffrir. Quimportent les protestations : Pourquoi moi ? Je nai pas envie, elle revient coup sur coup. Vous butez contre elle sans pouvoir vous en défaire.
Comme un virus
Pour ma part, la vocation ma frappé comme un virus, sans que je puisse faire quoi que ce soit. Cest la traduction, en langage humain, du fait que Dieu nous cherche et que cest plus fort que nous. Je suis donc incapable de dire pourquoi ni comment, car cest lui qui en est lorigine. Il y a dans toute vocation des éléments qui font comprendre quelle est dans lair, que Dieu a un projet à notre égard.
Quelques indices
Si tu ne retrouves pas en toi tous les éléments que je vais évoquer, il ne faut pas croire que tu es anormal. Ce sont quelques indices qui mont frappé. Je les ai retrouvés aussi chez dautres.
- Avoir une certaine sensibilité pour des choses qui laissent les autres indifférents. Par exemple, un goût pour la fraîcheur des paroles de Jésus. Certaines de ses paroles ne te quittent plus. Tu les réentends toujours. Personne na un plus grand amour que celui qui donne sa vie pour ses amis. De tels passages, qui ne disent pas grand chose à dautres, te touchent. Quand tu ten aperçois, il faut y prêter attention.
- Avoir un penchant pour lintériorité, une tendresse particulière qui se vit en silence. Il se peut que parfois tu nen aies pas envie, mais au plus profond de toi, cet appel revient : Arrête-toi un instant, réfléchis ! Ne laisse pas passer le temps dans la dispersion. Puis tu te dis : Si je suivais une session biblique ? Si jallais dans une abbaye ? Subjugué par le Christ, tu tinscris sans être sûr dy aller. Et finalement, tu y vas.
- Avoir envie de regarder plus longtemps, de rester tranquille, de prêter attention à certaines choses et de donner du temps, par exemple, à une formation. Tu es content dentendre parler quelquun, de lire, dentendre à la radio ou à la télévision quelque chose de profond. Voilà ce que je dois écouter, penses-tu. Si cette envie te prend, fais attention, car il se passe quelque chose.
- Découvrir en soi un profond sentiment de compassion : ne pouvoir accepter que des gens soient dans le malheur ou la misère ; les aider, souvent dans le plus grand secret... Tout en étant même un peu honteux à lidée quon puisse le savoir parce quon pourrait te prendre pour un naïf, un inadapté à ce monde-ci... Cette compassion peut sétendre à ceux qui sont psychiquement malades, qui ont du mal à rester debout dans la vie, qui perdent lespoir. Pouvoir les écouter durant des heures, au point que tes amis te disent : Tu perds ton temps ! Il ny a rien à faire.
- Avoir une certaine délicatesse envers les enfants, les petits et les faibles, les handicapés, envers ceux qui ne peuvent pas suivre et sont exclus. Enfin - et cest lélément le plus profond - pouvoir compatir avec ceux qui sont ancrés dans le mal, qui sont esclaves de la drogue, de la sexualité non contrôlée ; qui mènent une vie superficielle, parmi les bêtises et largent. Alors que les autres les trouvent bêtes et prédisent une issue fatale, tu te dis : Je ne puis manquer de compassion.
Si tu as ces trois formes de compassion, avec ceux qui souffrent, avec les petits et avec les pécheurs, elles sont des indices que Dieu a quelque projet sur toi.
- Etre sensible à ce qui nintéresse pas la plupart des gens. Par exemple, avoir une admiration pour ceux qui vivent dans la sobriété et la pauvreté, pour François dAssise, pour ceux et celles qui se dévouent dans le tiers ou le quart monde. Là où tout le monde prétend quil faut avoir de largent pour vivre - ce qui nest pas faux - tu te sens attiré par le fait de navoir rien ou peu. Cela ne signifie pas encore que tu vas vivre ainsi, ni que tu en sois capable, mais tu estimes quil sagit là dune vie meilleure et plus profonde que beaucoup dautres.
- Il en va de même du fait de ne pas se marier. Tout le monde dit : Cela na pas de sens. Toi aussi, tu tinterroges. Et tu te dis : Il y a quelque chose de beau là-dedans. Cela ne signifie pas que tu es capable de vivre le célibat, mais que tu en perçois le côté merveilleux et le charme. Et je remarque quil sagit là de quelque chose de très délicat quon peut détruire aussitôt.
- Avoir une admiration croissante pour des gens qui sont sensibles, dociles, prêts à écouter. Ils disent souvent oui, là où on dit deux quils sont naïfs. Tu te dis : Je nen suis peut-être pas capable, mais il a raison. Il se peut que tu trouves en toi cette sensibilité aux valeurs évangéliques, qui vont à rebrousse-poil et ne sont pas naturelles : la pauvreté, la chasteté et lobéissance. Tous nont pas cette sensibilité. Si tu las, alors un feu sallume. Tu te dis : Où cela va-t-il me mener ? Car ce nest pas toi qui as déposé ces valeurs dans ton cur.
- Découvrir en soi laudace du risque, contrairement à ceux qui veulent être assurés contre tout et être sûrs de tout avant dagir. Ils calculent bien, sont raisonnables, intelligents et nont que du bon sens... Si tu ne te sens pas à laise là-dedans et si tu trouves que, sans risque, la vie est mortelle, un feu sallume et te permet davancer.
- Découvrir en soi lamour de lÉglise. Jaime lÉglise, en un temps où lon dit beaucoup de mal delle et où, moi-même, japerçois beaucoup de fautes en elle, des choses dont je souffre et qui font que je deviens dur pour elle, bien que je ne puisse men passer. Cest un peu ce quon peut ressentir envers ses parents : Ils mennuyent avec leurs manies, mais malgré tout, ce serait très triste sils mouraient. Il arrive quon sorte devant sa mère un tas de critiques et que, le jour de son anniversaire, on mette une lettre sur son lit pour lui dire combien on laime ! Il en va de même de lÉglise. Je ne sais vraiment pas si je pourrais vivre sans elle. Cest, pour ainsi dire, un rapport haine-amour. Quand tu éprouves de tels sentiments, un feu sallume à nouveau.
- Désirer que ce que lon aime tant - la prière, les valeurs évangéliques qui vont à rebrousse-poil, le risque, la compassion envers les souffrants, les enfants et les pécheurs - les autres laiment aussi. Sattrister quand ils ne ressentent pas un tel amour et donc vouloir le partager.
Parfois je suis malheureux parce que les choses que jadmire et pour lesquelles jai de la sympathie ne remportent pas la sympathie des autres. Je me sens alors étranger parmi eux. Au fond, je voudrais que tous soient de pareils étrangers !
Etre triste quand on ne reçoit pas de réponse et lorsque tout tombe à leau. Quand tu as cette tristesse ridicule, parce que si peu de gens la ressentent, alors un feu sallume.
- Pouvoir admettre facilement ses torts et les avouer spontanément. Même si cela ne se fait pas sans mal, je ne suis tranquille que quand jai pu avouer que je ne suis quun pauvre petit homme et que jai mal fait. Ne pas se ranger parmi ceux qui disent : Je me suis trompé, mais il ne faut pas quils viennent me le dire. Je le sais déjà tout seul !
Venir à la lumière
Voilà un certain nombre déléments qui ont certainement joué chez moi. Si tu les retrouves en toi, ils te feront prendre conscience que Dieu te demande peut-être quelque chose et quil soccupe donc un peu plus de toi. Il ny a pas là de quoi te vanter, mais de quoi te dire : Puis-je mettre tout cela dans le placard ? Ou plutôt : Comment morienter ?
Si ce nest pas encore clair pour toi, il ne faut pas tout cacher dans larmoire, car tu seras malheureux et tu te diras, plus tard : Je ne suis pas devenu ce que jaurais dû. Tu nen mourras pas pour autant, mais tu garderas un petit nuage dans la tête qui te dira : Il aurait dû faire beau, mais il y a du brouillard.
Je tai indiqué comment des feux sallument. Ils sont comme des étoiles au firmament. Il est important de les tenir à lil et de torienter à partir de celles-ci.
Si tout cela fait Tilt...
Supposons que tu ressentes un certain nombre de ces éléments et que tu te dises Je ne les cacherai pas. Que faire alors ?
Céder à lattrait de la prière et du silence
Planifie dans ta vie des moments de réflexion, de méditation, doraison ; profite de ce qui test offert, mais mets-toi aussi en recherche ; passe un jour dans une abbaye, participe à des sessions bibliques ; arrête-toi et brise le rythme travail-loisirs-repos. Cet appel ne peut pas mourir dans larmoire.
Sexposer à lÉvangile
Prends lÉvangile et lis-en une page ou deux ; ou simplement, ouvre-le et lis ne fût-ce quune ligne ou deux. Tu peux te rendre vulnérable à la parole de Dieu durant leucharistie, à léglise ou nimporte où. Remue une phrase et expose-toi.
Fréquenter les sacrements et sengager
Fréquente leucharistie et va confesser tes péchés. Ensuite, engage-toi sur le plan social et évangélique. Fais plus que la normale, le raisonnable, le convenable. Dis-toi à tout instant : Je veux faire quelque chose de plus, il faut que cela déborde.
LÉvangile parle dune justice surabondante. Jésus dit : Si tu ne fais pas ce que tout le monde fait, les païens le font aussi. Où se situe alors ce qui test propre ? Au lieu de ne pardonner que les fautes dinadvertance commises envers toi - une porte restée ouverte qui ta coûté un rhume - pardonne les vraies fautes intentionnelles. Jésus dirait : Fais ce que tous ne font pas. Si tu dis : Je ferais juste ce quil faut, alors tu mets ta vocation dans le placard.
Rejoindre dautres
Rejoins dautres personnes qui regardent les mêmes étoiles au firmament pour se guider, qui ont une même sensibilité. Si tu restes seul avec ta lampe à huile allumée, elle va séteindre. On a raison de dire quun chrétien qui est seul aujourdhui est en danger de mort. Que ceux qui ont une vocation, quelle quelle soit, se regroupent ; quils se rassemblent pour prier, réfléchir, lire lÉvangile ensemble, sencourager mutuellement et vivre leucharistie. Nous sommes si isolés dans le monde dès que nous nous intéressons à Dieu et à lÉvangile, que, seuls, nous ne pouvons tenir. Heureux ceux qui ont un ami, une amie ou des amis à qui ils peuvent parler de ces choses.
Parler à quelqu'un
Cherche de laide chez quelquun de plus âgé qui peut taider. Il ne faut pas nécessairement que ce soit un prêtre. Ce peut lêtre, et peut-être de préférence, non pas parce que le prêtre est plus saint, mais parce quil a été formé pour aider les autres. Personne nest juge dans son propre cas. Pour savoir ce que Dieu veut de toi, parle à quelquun. Si tu ne parles quà toi-même, tu seras toujours daccord avec toi-même. Ou bien tu te décourageras : Je suis seul à me poser les questions et à me donner les réponses. Un interlocuteur peut taider et te répondre de façon plus objective. Cest important et cest une preuve de générosité.
Beaucoup portent en eux-mêmes une vocation, mais nen parlent jamais. Cest que le fruit nest pas mûr. Une fois quon a le courage den parler, cest un signe que le fruit a mûri : la pomme tombe de larbre dès quelle a pris assez de poids.
Ce nest qu'à partir du moment où une chose a été discutée avec quelquun quelle est authentique. Il en va de même dans laveu. Aussi longtemps quon pense : Je naurais pas dû faire cela, je le regrette, on nest pas encore parvenu à maturité. Mais lorsquon dit à quelquun : Je lai fait et je le confesse, alors on se reconnaît coupable et on est mûr. Ne pas parler veut dire : Ce nest pas encore né, même si cest vrai. Ce nest quen lexprimant que cela naît.
Se mouiller
Si tu trouves en toi tout ce dont je viens de parler, et si tu en as parlé à quelquun, tu ne peux savoir si tu as la vocation que quand tu oses sauter dans le noir : Jentre dans ce mode de vie avec intuition et jessaie... Il faut vraiment lexpérimenter. Tu ne pourras jamais vérifier une vocation par correspondance !
Aller voir
Quand Jésus appelle ses premiers disciples, il prend linitiative : Que cherchez-vous ? Ils lui répondent : Maître, où habites-tu ? Donne-nous ton adresse. Jésus dit : Venez et voyez ! Mais il ne donne ni adresse, ni explication. Il appelle. Ils allèrent et regardèrent, dit lÉvangile. Et ils restèrent un jour. Voilà la vocation qui tattend : Viens et vois ! Dix lignes plus loin dans le même Évangile, Philippe rencontre Nathanaël et dit : Jai trouvé Jésus, le fils de Joseph de Nazareth. Il décline sa carte didentité : son nom, celui de son père, sa résidence.
Et que dit Nathanaël ? Rien de bon ne peut sortir de Nazareth ! Cela nira pas. Que fait alors Philippe ? Il reprend la méthode de Jésus : Viens voir ! Nathanaël va et regarde. Jésus lui dit : Je te voyais assis sous le figuier avant que Philippe ne tappelle. - Comment as-tu pu me voir sous le figuier ? - Je tai vu, dit Jésus, tu es un vrai Israélite, tu ne ten laisses pas conter ! Nathanaël abandonne la partie et dit : Seigneur, tu es le Fils de Dieu, le roi dIsraël (Jn 1, 49). Cest la plus grande confession jamais faite.
Il me semble alors que le seul moyen de savoir si tu as une vocation, c'est de venir voir. Le reste n'est que préparation. Si tu y vas, des feux brilleront.
Cardinal Godfried Danneels, Archevêque de Malines
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